LE MONDE DE L’OTOLOGIE
Otologie pédiatrique
Rédaction en chef : Pr Alexis Bozorg Grayeli, Service ORL, CHU Dijon
et laboratoire CNRS ICMUB, Université Bourgogne-Franche-Comté
N° 17 - Novembre 2023
ÉDITO
Audition des ultrasons dans la surdité
profonde : curiosité physiologique ou voie
de l’avenir ?
Les sons audibles par l’oreille humaine ont une fréquence se
situant entre 16 Hz et 24 kHz. Au-delà, on parle d’ultrasons
et les ondes acoustiques sont généralement considérées
comme inaudibles par les humains [1].
Depuis les années 1960, des physiologistes ont remarqué
la possibilité extraordinaire de l’oreille humaine d’entendre
les ultrasons par la conduction osseuse (USCO) jusqu’au
moins 120 kHz [2,3]. Des auteurs ont suggéré que l’on ne
pouvait entendre les ultrasons par voie aérienne car l’oreille
moyenne, avec son impédance élevée, les filtre et les rend
inaudibles alors que, par la voie osseuse, la cochlée pourrait
les capter directement et les percevoir. D’autres ont émis
l’idée qu’une progression non linéaire des ondes à travers
l’os entourant l’oreille déformerait le signal ultrasonore et le
rendrait audible [3]. En tout cas, cette curieuse observation
a soulevé de multiples questions quant au mécanisme de la
perception sonore par les humains et à sa finalité sur le plan
évolutionnaire.
Quelques décennies plus tard, une autre observation extra-
ordinaire a davantage opacifié le mystère : certains patients avec
une surdité profonde peuvent entendre les USCO [4,5]. Cette
observation suggère l’existence d’un mécanisme de perception
différent de celui des sons audibles par voie aérienne. On peut
facilement imaginer les implications médicales majeures de ce
phénomène car il pourrait changer notre regard sur la physio-
logie de l’oreille et il ouvre la voie à de nouvelles méthodes
d’exploration et de réhabilitation de l’audition.
Le mécanisme de l’audition par les ultrasons
Une stimulation par les USCO est perçue par l’oreille nor-
male comme un son aigu dont la hauteur se situe entre
8 et 14 kHz. Cette hauteur semble indépendante de la
fréquence de l’USCO appliqué mais semble varier avec
son intensité [3].
Cette sensation auditive a une fourchette dynamique (écart
entre le seuil de perception et le son inconfortable) très étroite
de 10-20 dB environ, semblable à un implant cochléaire [6].
Elle peut être masquée par un son audible délivré par voie
aérienne. Inversement, un son par voie aérienne peut égale-
ment être masqué par des USCO. Cependant, il existe des
différences importantes entre ces deux types de masquage.
Les USCO semblent avoir un pouvoir de masquage bien plus
important que les sons par voie aérienne : un USCO de 5 dB
entraîne un effet de masquage par voie aérienne d’environ
30 dB prédominant entre 10 et 14 kHz. En revanche les USCO
ne masquent pas les sons inférieurs à 8 kHz [6].
Les mécanismes de cette audition ne sont pas élucidés.
Deux hypothèses ont été initialement proposées : la sti-
mulation directe des cellules ciliées internes (CCI) par les
ultrasons et la démodulation du signal ultrasonore dans
l’os de la capsule otique qui le rendrait audible. La démo-
dulation sonore est un phénomène physique comparable
à la diffraction de la lumière dans un prisme, séparant un
signal audible contenu dans une onde porteuse (ultrason)
quand le son traverse un milieu avec des densités variables
comme le rocher [7]. Bien qu’attrayante, des expériences
de masquage [8] et des mesures de vibrométrie laser sur
le tympan [9] lors d’une stimulation par des USCO ont
apporté des arguments en défaveur de cette hypothèse.
En effet, l’USCO utilisé comme un masqueur a des carac-
téristiques d’un son supérieur à 10 kHz contrairement à un
son démodulé dans les fréquences graves et moyennes, et
la vibrométrie laser ne montre aucune génération de son
démodulé sur le tympan.
Chez les patients avec une surdité profonde qui peuvent
entendre les USCO, les rares CCI survivantes à la base de
la cochlée peuvent être la cible de cette stimulation. En
revanche, les cellules ciliées externes (CCE) ne semblent pas
intervenir dans cette audition. En effet, chez les patients avec