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L'art perdu du diapason

LE MONDE DE L’OTOLOGIE

L’art perdu du diapason

Rédaction en chef : Pr Alexis Bozorg Grayeli, Service ORL, CHU Dijon

et laboratoire CNRS ICMUB, Université Bourgogne-Franche-Comté

N° 18 - Mars 2024

ÉDITO

À l’heure où l’intelligence artificielle s’introduit en audiologie [1]

et où la télémédecine est proposée comme une des solutions

à l’appauvrissement de la couverture médicale territoriale [2],

l’examen clinique tend à être relégué à la périphérie de nos

compétences. L’acoumétrie ne semble pas déroger à cette

tendance : elle est peu à peu supplantée par l’audiométrie.

L’acoumétrie est l’art d’explorer l’audition par un ensemble

d’examens d’apparence simples, mais où la minutie dans

l’exécution des épreuves et le sens critique jouent un rôle clé.

En 1922, Harry Barnes, un otologiste de Philadelphie, écrivait :

« Je considère le diapason l’instrument le plus important de

l’otologiste, tellement important que si je ne devais avoir qu’un

seul instrument, c’est celui que je choisirais [3]. »

L’acoumétrie, qui est désignée dans le monde anglo-saxon

par les épreuves au diapason (tuning-fork tests), est née par

la découverte de la conduction osseuse (CO) par Philippus

Ingrassia (1510-1580), professeur d’anatomie à Padoue (Italie)

au XVIe siècle. Il avait constaté que l’on pouvait entendre un

diapason vibrant pressé contre les dents, observation qui a

été appelée le « phénomène d’Ingrassia » [4]. Ce n’est qu’au

XIXe siècle que des études comparatives d’Ernst Heinrich

Weber (1795-1878) ont jeté les bases de nos épreuves

actuelles. Weber était un professeur d’anatomie et de physio-

logie à Leipzig (Autriche) mais n’a jamais été intéressé par

l’exercice de la médecine. Il a décrit la conduction osseuse

et son lien avec l’autophonie et la surdité de transmission de

la manière suivante : « Si les deux oreilles sont obturées par

les mains, notre voix est mieux entendue que si les oreilles

sont libres. Si un diapason est tenu contre les dents avec la

bouche fermée, il est mieux entendu les oreilles bouchées

que les oreilles libres. Si l’on n’obture qu’une seule oreille,

le son du diapason est entendu plus fort de ce côté. [5] »

En parallèle, il avait constaté que certains patients sourds

entendaient mieux le diapason dans l’oreille sourde, que

cela pouvait avoir un lien avec le mécanisme de leur surdité

et que le diapason pouvait un jour servir au diagnostic des

surdités [4]. Bien que le test porte le nom du physiologiste

allemand, c’est grâce aux travaux du Dr Jean-Pierre Bonnafont

(1805-1885), médecin privé montpelliérain, que le test a été

introduit dans la pratique clinique plusieurs décennies après

sa description [6].

Contemporain de Weber et de Bonnafont, Heinrich Adolphe

Rinne (1819-1868), médecin diplômé de Göttingen en 1846, a

décrit vingt-deux expériences différentes avec le diapason pour

explorer l’audition et propose, entre autres, son test consistant

à placer le diapason vibrant sur les incisives, et quand la vibra-

tion osseuse devient inaudible, à placer l’instrument devant

le pavillon pour l’entendre de nouveau en cas de normalité

de la fonction tympano-ossiculaire. De cette manière, il se

propose de comparer l’audition par les conductions osseuse

(CO) et aérienne (CA). Il évoque la possibilité d’utiliser cette

épreuve pour le diagnostic du mécanisme de la surdité [7,8].

Il faut noter que ces mêmes tests avaient été décrits par le

médecin viennois F. Polansky quelques années auparavant,

mais l’histoire n’a malheureusement pas retenu son nom [8,9].

Ce n’est qu’un quart de siècle après sa première description

que le test de Rinne a été appliqué en clinique grâce aux

travaux d’Auguste Lucae et Frederich Bezold. Ce dernier a

mesuré le temps de la vibration décroissante et audible par

la CO (T) et par la CA (t). La différence t-T donne une valeur

de Rinne positive (état normal ou surdité de perception) ou

négative (surdité de transmission) [4].

Par la suite, d’autres tests d’acoumétrie et leurs variantes ont

été mis au point : le test de Schwabach (Dagobert Schwabach,

1850) compare la CO du patient et de l’examinateur en plaçant

un diapason vibrant sur la mastoïde ou devant le pavillon du

patient et dès qu’il ne l’entend plus, le place dans la même

position chez l’examinateur. Le nombre de secondes pendant

lesquels l’examinateur entend encore le diapason peut per-

mettre d’estimer le degré de la surdité du patient [10].

Par le test de Bing (Albert Bing, 1891), on compare l’audition

en CO et en conduit auditif ouvert avec celle après obturation

du conduit. En cas de surdité de perception ou d’audition

normale, on entend mieux avec le conduit fermé (tragus

poussé vers le méat) : le test est positif. En cas de surdité

de transmission, il n’y a pas de différence (test négatif) [11].