LE MONDE DE L’OTOLOGIE
Acouphènes, hyperacousie et bruits aversifs
Rédaction en chef : Pr Alexis Bozorg Grayeli, Service ORL, CHU Dijon
et laboratoire ImVia, Université Bourgogne Franche-Comté
N° 15 - Mars 2023
ÉDITO
Le changement de climat acoustique
Dans ce numéro, nous vous proposons d’effectuer un tour
d’horizon des bruits et des acouphènes, toujours d’actualité dans
le milieu urbain de plus en plus dense.
La pollution sonore, que l’on définit par une élévation du
niveau sonore ambiant due à l’activité humaine, prend des
proportions inquiétantes [1]. Selon l'Organisation mondiale
de la santé (OMS, 2018), le bruit représente le second facteur
environnemental provoquant le plus de dommages sanitaires en
Europe, derrière la pollution atmosphérique. Environ 20 % de la
population européenne (soit plus de 100 millions de personnes)
sont exposés de manière chronique à des niveaux de bruit
préjudiciables à la santé humaine [1-3].
La première source de cette pollution est le trafic de tous
les moyens de transport. Cette activité est en constante
augmentation depuis deux siècles. Viennent ensuite les bruits
industriels ou générés par les sites de construction, les machines
de nettoyage, les climatiseurs, les pompes, etc. [4]. L’exposition
à des niveaux élevés (niveau de pression acoustique moyen sur
une journée, LA eq 24 h = 70 dB(A)) entraîne une perte auditive
par une atteinte de l’épithélium sensoriel, mais également des
fibres nerveuses auditives et des synapses [4,5]. Cette atteinte
peut être réversible pour des traumatismes légers mais devient
irréversible pour les traumatismes importants. Le niveau
d’atteinte et son irréversibilité dépendraient aussi du capital
génétique et des facteurs de comorbidité comme les facteurs
de risque vasculaire ou les agents ototoxiques [4].
L’exposition à des niveaux plus bas et de manière prolongée
(bruit moyen incident la nuit en extérieur, Ln = 35-55 dB(A)) a des
conséquences délétères sur le sommeil, le système endocrinien,
cardiovasculaire, immunitaire, l’état psychologique et les
performances cognitives [4-6].
De nombreuses études ont montré un impact négatif sur les
fonctions telles que la mémoire, la concentration, l’apprentissage,
la production verbale et les fonctions exécutives chez les individus
exposés. Malheureusement, la plupart de ces études révèlent
des facteurs confondants du fait de nombreuses interactions,
notamment socio-économiques, de pathologies associées et
d’autres types de pollutions. Dans une méta-analyse sur l’effet de
la pollution sonore sur la cognition publiée en 2021, Thompson
et al. ont pu sélectionner 48 études parmi plus de 1 500 selon des
critères méthodologiques stricts. Ils ont pu conduire plusieurs
méta-analyses par sous-groupes et, malgré ces interactions, ont
montré l’effet délétère du bruit sur les capacités de lecture, de
compréhension et de production verbale des enfants et sur les
fonctions cognitives des adultes [7].
Pendant la pandémie de Covid-19, cette pollution sonore a
provisoirement régressé dans certaines régions, notamment
dans les grandes villes et les ports [8-10], mais d’autres effets
adverses ont contrebalancé ce bénéfice. En effet, la diminution
du trafic routier a eu pour conséquence l’augmentation de
la vitesse des véhicules et l’augmentation de la pollution
sonore et atmosphérique sur certains axes [10]. Depuis la
sortie de la pandémie, on constate un effet de rebond avec
une augmentation significative de la pollution par rapport à la
période prépandémique [9].
Les effets du bruit dépassent la santé humaine et bouleversent
les milieux écologiques. L’impact est large du point de vue
taxonomique, touchant non seulement le milieu terrestre
et les oiseaux mais également le milieu marin [11]. Sur des
distances courtes, le trauma acoustique entraîne la surdité
mais également des lésions d’autres organes avec parfois des
hémorragies internes chez les poissons. À un plus faible niveau,
le bruit induit une inhibition comportementale et une dissuasion,
perturbant l’activité de chasse, l’alimentation et la reproduction
des animaux. Cet impact comportemental modifie la chaîne
alimentaire avec des effets complexes et non élucidés sur les
insectes et les végétaux. Ainsi, certains auteurs anglo-saxons
proposent le terme “Acoustic Climate Change” pour résumer le
tableau et frapper les esprits [11].
L’impact économique du bruit est colossal. Dans une étude
récente menée par l’Ademe, avec l’appui du Conseil national
du bruit, le coût social du bruit en France est estimé à
147,1 milliards d’euros par an [1]. Trois groupes de sources
de bruit ont été inclus : le transport, le voisinage et le milieu
du travail. À ce coût s’ajoutent les dépenses transversales
de surveillance, d’information, d’études et de recherche. Ce
coût comprend les effets sanitaires induits par le bruit et les
effets non sanitaires, comme la perte de productivité et la
dépréciation immobilière. Les évaluations ont été menées en
tenant compte des coûts marchands (dépenses directement
quantifiables) et non marchands, c’est-à-dire la valorisation